Harper et les tribunaux

Toronto, 9 juillet 2014 – Sous un gouvernement majoritaire, les partis d’opposition disposent de moyens limités pour empêcher le gouvernement d’appliquer sa politique. Ils peuvent faire de l’obstruction, tenter de modifier les lois, présenter des projets de loi d’initiative parlementaire ou interroger le gouvernement à la Chambre des communes et au Sénat, et devant les comités. Mais au bout du compte, c’est le gouvernement majoritaire qui détermine l’ordre du jour. Et par une utilisation sans précédent de l’attribution du temps de parole pour limiter le débat, les Conservateurs imposent leur programme.

Mais depuis 2001, Stephen Harper doit faire face à une opposition qu’il ne peut pas réduire au silence par un vote au Parlement. Il s’agit bien  de la Cour suprême du Canada. Bien que la majorité des juges qui siègent à la Cour aient été nommés par M. Harper lui-même, cinq depuis 2006, celle-ci vient de rendre plusieurs décisions qui mettent des bâtons dans les roues du gouvernement.

Que ce soit le jugement unanime en faveur d’Insite, le site d’injection supervisé de Vancouver, en 2011, la récente décision jugeant recevable les revendications territoriales des Autochtones, ou la remise en question des politiques de lutte contre la criminalité et d’expansion de l’exploitation des ressources naturelles prônées par les Conservateurs, les assauts du gouvernement Harper contre la Charte canadienne des droits et libertés n’ont cessé de rencontrer des obstacles à la Cour suprême. Ainsi, celle-ci a invalidé la Loi sur l'adéquation de la peine et du crime, rejeté les projets de réforme du Sénat de M. Harper et déclaré inconstitutionnelle la tentative de nomination de Marc Nadon à la Cour suprême.      

Même les tribunaux inférieurs s’y sont mis, en statuant contre les peines minimales obligatoires et contre la suppression de la libération anticipée. Dans une récente décision, la Cour fédérale a rejeté la proposition d’accès réduit aux soins de santé pour les réfugiés, qualifiant cette mesure de « cruelle et inhabituelle ». M. Harper a déjà indiqué que les Conservateurs feraient appel de cette décision devant la Cour suprême.

Les Conservateurs ont également introduit un projet de loi révisé sur la prostitution – en réponse à l’invalidation des lois sur la prostitution par la Cour suprême – qui a toutes les chances d’être renvoyé devant la Cour suprême car celui-ci ne semble pas répondre aux intentions de la décision de la Cour. On a vraiment l’impression que les Conservateurs ont une méconnaissance totale de la Constitution et de la Charte canadienne des droits et libertés ou qu’ils ne s’en soucient pas du tout.

Cela n’est pas nouveau. À l’époque du Parti réformateur, M. Harper et ses amis s’en prenaient déjà aux tribunaux et aux juges non élus. Il n’est donc pas étonnant de les voir aujourd’hui intensifier leurs attaques contre ces mêmes juges à l’approche de la prochaine élection fédérale. M. Harper s’est engagé à transformer le Canada, mais ses efforts pour imposer son idéologie se sont heurtés à un système judicaire qui a tendance à mieux représenter les valeurs canadiennes.

Jusqu’à présent, les tribunaux ont fait de leur mieux pour nous protéger de M. Harper, mais rien ne l’empêchera de poursuivre ses nominations à tous les échelons du système judiciaire – des nominations qui reflètent une idéologie dure et implacable.  Désormais, la seule façon de mettre fin à cette folle dérive est d’élire un nouveau gouvernement qui respecte notre Constitution, et qui, contrairement au parti conservateur de Stephen Harper, respecte la Charte canadienne des droits et libertés.