Le soulèvement des patients/clients
Quelles mesures de contrôle sont disponibles?
Ces mesures de contrôle sont-elles efficaces?
Le soulèvement des patients/clients :
comprendre la problématique
Depuis que le soin organisé des malades et des infirmes a commencé, le soulèvement des patients a été reconnu comme l’une des tâches les plus physiquement exigeantes que doivent accomplir les travailleurs de la santé dont bon nombre sont des membres des TUAC Canada. Cependant, l’évolution des caractéristiques démographiques et des politiques sur les soins de santé a pour effet de multiplier les risques de blessures liées aux troubles musculo-squelettiques (TMS) chez les travailleurs, et en particulier les blessures au dos. Des phénomènes tels le vieillissement de la population, l’accroissement du poids moyen des patients, l’augmentation des maladies débilitantes, l’accent mis sur le traitement et la guérison au détriment de la prévention, la désinstitutionalisation des malades mentaux, les soins à domicile, pour n’en citer que quelques-uns, imposent de plus grandes exigences sur notre système de soins de santé et nos dispensateurs de soins. Il en résulte que les patients des établissements de soins de santé du Canada nécessitent aujourd’hui plus de soins et non moins. Et généralement, ces patients sont plus malades et donc incapables de contribuer à leur soin. Les changements dans le financement des soins de santé et les pénuries de personnel infirmier ne font qu’empirer la situation.
L’ampleur du problème
Selon des recherches effectuées au cours des trois dernières décennies, l’un des principaux facteurs de risque associés aux blessures au dos chez les infirmières et infirmiers est le fait qu’ils déplacent souvent des malades manuellement.
En fait, aux États-Unis, la profession infirmière est considérée comme le métier qui comporte le plus de risque de blessure au dos. Selon une enquête sur la santé-sécurité réalisée par des associations d’infirmières et infirmiers de ce pays, 83 % de ces derniers ayant participé à l’enquête disent souffrir de mal de dos et la plupart d’entre eux attribuent le problème aux tâches impliquant le soulèvement de patients au travail.
En Ontario, les TMS représentent plus de 50 % des absences résultant de blessures subies par les travailleurs de la santé. Près de la moitié de ces blessures sont liées à la manipulation des patients.
Comment fonctionne le dos?
L’épine dorsale de l’être humain comprend 33 os appelés vertèbres, qui sont empilés les uns sur les autres pour former la colonne vertébrale. Vingt-quatre des 33 vertèbres sont mobiles. Entre chaque vertèbre se trouve un disque qui aide à absorber les pressions et empêche les os de se frotter les uns contre les autres. Les ligaments tiennent les vertèbres ensemble.
L’épine dorsale, pour sa part, est divisée en trois régions : la région cervicale ou le cou, la région thoracique ou le dos et la région lombaire ou le bas du dos. La région cervicale comprend sept vertèbres au haut de l’épine dorsale. La région thoracique est située au milieu de l’épine et comprend 12 vertèbres. Le bas de l’épine s’appelle la région lombaire et comprend cinq vertèbres. L’épine dorsale de l’être humain présente une courbure naturelle qui a la forme d’un « S ». La région cervicale se courbe vers l’intérieur tandis que la région thoracique se courbe vers l’extérieur et la région lombaire vers l’intérieur. Cette forme unique de la colonne est indispensable, car elle lui permet d’assurer une distribution égale du poids du corps et de répondre à différentes forces physiques. Alors que l’épine dorsale soutient la majeure partie du poids et des mouvements corporels, chaque segment dépend du poids et de la flexibilité des autres pour fonctionner comme il faut.
Quels sont les risques?
Alors que la plupart des postures modifient l’alignement de l’épine dorsale, certaines postures ont pour effet d’augmenter le risque de blessure au niveau de l’épine et des muscles qui s’y rattachent. Les risques de blessure au dos augmentent lorsqu’on passe d’une position verticale à une position penchée ou inversement, moment pendant lequel l’épine dorsale change de forme.
Lorsqu’un tel mouvement est exécuté pendant qu’on déplace une charge, comme c’est le cas lorsqu’on soulève un patient d’un fauteuil pour le mettre dans un lit ou lorsqu’on le soulève d’une baignoire pour l’installer dans un fauteuil roulant, les risques de douleur ou de blessure dans la région lombaire augmentent. Le fait de se pencher à partir de la taille et d’étendre le tronc supérieur modifie l’alignement de l’épine dorsale et déplace le centre de gravité abdominal forçant l’épine à soutenir à la fois le poids du corps du dispensateur de soins et le poids du patient qu’il soulève ou dépose.
Les blessures au dos peuvent découler d’un incident isolé ou d’une série d’événements sur une période de temps. Bien qu’aucune de ces situations ne soit inhabituelle dans le secteur des soins de santé, ce n’est qu’après avoir passé des années à soulever ou à porter des patients que le dos finit pas s’affaiblir au point où un simple incident occasionne des douleurs ou des blessures chez le travailleur.
Législation en place
Nombre de pays ont reconnu la nécessité d’adopter des lois et/ou des lignes directrices pour réglementer le soulèvement des patients.
Le United Kingdom's Health Services Advisory Committee, ou HSAC (comité consultatif du Royaume-Uni sur les services de santé) a établi, en 1984, un des premiers guides sur le soulèvement manuel à l’intention du secteur des soins de santé. Une version mise à jour, Manual Handling of Loads in the Health Services (manutention manuelle des charges dans le secteur des soins de santé), produite en 1998, intègre la législation existante et fournit des directives sur la prévention des risques par l’ergonomie. Le guide du HSAC recommande également une formation des travailleurs qui comprend l’évaluation de la levée et l’utilisation des dispositifs élévateurs.
Aux États-Unis, plusieurs états ont, soit adopté des mesures législatives sur la manipulation sécuritaire des patients, soit déposé des projets de loi sur la manipulation des patients. Ces états comprennent le Texas, Washington, Hawaii, Rhode Island, l’Ohio, New York et la Californie. On y trouve également un projet de loi national, soit le HR 378 « Nurse and Patient Safety and Protection Act of 2007 » (loi sur la protection et la sécurité des patients et des infirmiers), qui est actuellement à l’étude. Si le HR 378 a du succès, une norme fédérale sur la manipulation sécuritaire des patients obligeant les établissements de soins de santé à se conformer à la loi sera adoptée en vue de prévenir les troubles musculo-squelettiques chez les infirmières et infirmiers autorisés qui fournissent des soins directs aux patients et d’autres dispensateurs de soins qui travaillent dans des établissements de soins de santé. Cette norme exigera l’élimination du soulèvement manuel des patients par des infirmières ou infirmiers autorisés et d’autres dispensateurs de soins de santé, et imposera le recours à des dispositifs mécaniques, sauf lors d’une situation d’urgence déclarée.
Législation fédérale
Ici au Canada, les mesures de réglementation ont fait des progrès. Des modifications apportées en 2007 à la partie XIX du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail obligent les employeurs à intégrer les risques liés à l’ergonomie attribuables du développement des TMS dans leur programme de prévention des risques au travail dont le mandat repose sur des dispositions législatives (article 125(1)z.03, Partie II, Code canadien du travail).
Ces modifications précisent les détails que les employeurs doivent incorporer dans le programme de prévention parmi lesquels un mécanisme d’identification et d’évaluation des risques, des mesures de prévention assorties d’une formation en ergonomie. Les employeurs doivent également élaborer, mettre en œuvre et surveiller le programme de concert avec le comité des politiques et avec la participation de ce dernier ou, en l’absence d’un tel comité, le comité en milieu de travail ou un délégué à la santé et à la sécurité. D’autre part, les employeurs doivent soumettre, au moins tous les trois ans, un rapport d’évaluation d’efficacité au ministère du Travail.
Législation provinciale
La Saskatchewan, le Manitoba et la Colombie-Britannique (C.-B.) ont tous adopté des règlements sur l’ergonomie, la C.-B. disposant du règlement le plus complet. Ce règlement oblige les employeurs à consulter les membres du comité mixte sur la santé et la sécurité ainsi que les travailleurs touchés dans leurs efforts pour identifier, évaluer et contrôler les risques liés au développement des blessures musculo-squelettiques.
Safe Work BC a publié un guide intitulé Handle With Care: Patient Handling and the Application of Ergonomics Requirements (À manipuler avec précaution : La manutention des patients et l’application des exigences ergonomiques). Ce guide offre des conseils sur la conformité aux exigences du règlement sur l’ergonomie, lequel s’applique aux travailleurs de la santé et à la manipulation des patients.
En Ontario, le Règlement sur les établissements d’hébergement et de soins de santé pris en application de la Loi sur la santé et la sécurité au travail n’est doté d’aucune disposition pour protéger les travailleurs contre les risques liés au soulèvement des patients. En fait, les obligations en matière d’ergonomie existent uniquement pour ceux et celles qui travaillent avec des ordinateurs et ont une portée limitée. Quoi qu’il en soit, des mesures concrètes ont été prises pour s’attaquer à la problématique des blessures liées à l’ergonomie dans les lieux de travail de l’Ontario. En 2007, le ministère du Travail (MT) a publié deux documents d’appui sur la prévention des TMS élaborés par le Conseil de la santé et de la sécurité au travail de l’Ontario (CSSTO). Les lignes directrices de prévention des TMS et le manuel de ressources fournissent aux lieux de travail un cadre de travail pour s’attaquer à la problématique des TMS en milieu de travail. Il s’est ensuivi, en 2008, la publication d’une boîte à outils d’accompagnement sur la prévention des TMS qui, comme son nom l’indique, contient différents outils conçus pour aider les lieux de travail à évaluer, mettre en œuvre et surveiller leurs programmes de prévention des TMS.
Les lignes directrices, les ressources et la boîte à outils expriment l’importance d’offrir une formation sur la prévention des TMS à tous les travailleurs et d’assurer leur participation au processus de prévention des TMS.
Sans une législation spécifique en matière d’ergonomie, les travailleurs et leurs représentants doivent se fier à la clause sur l’obligation générale de l’employeur dans la Loi sur la santé et la sécurité au travail. Cette clause oblige les employeurs à prendre toutes les précautions raisonnables pour assurer la protection des travailleurs.
Quelles mesures de contrôle sont disponibles?
Aujourd’hui, les techniques et les dispositifs permettant de soulever des patients sont très accessibles. Pourtant, les dispensateurs de soins de santé continuent de souffrir. Pourquoi? Parce que ces dispositifs ont généralement été mis en œuvre sans consultation et indépendamment des autres composants d’un programme efficace de manipulation de patients.
Techniques pour soulever des patients
Il demeure largement reconnu qu’une formation aux techniques de soulèvement sécuritaire permet de prévenir des blessures professionnelles, mais plus de trois décennies de recherche contestent cette croyance. Fondée sur une étude qui ne peut s’appliquer de façon généralisée à la profession infirmière à prédominance féminine et qui est difficile à traduire en soins directs aux patients, cette approche ne s’est pas révélée efficace. Une des difficultés est le fait qu’on ne parvient pas à s’entendre sur ce qui constitue la bonne mécanique corporelle. Mais plus important encore, ces mesures ne reconnaissent pas que les tâches liées à la manipulation manuelle sont intrinsèquement dangereuses, car elles dépassent généralement les capacités de la main-d’œuvre générale et ne tiennent pas compte des variables dans la tâche ou l’environnement de soulèvement spécifique.
Programmes et politiques sur le soulèvement des patients
La façon de loin la plus efficace d’aborder le problème de blessure au dos chez le personnel infirmier a été l’adoption d’un programme complet de manipulation de patients qui aide les dispensateurs de soins à reconnaître, à évaluer et à contrôler les facteurs de risque en milieu de travail qui causent la pression et le stress physiques liés à la tâche de soulèvement. Tout programme de manipulation de patients efficace comprend une politique qui régit le soulèvement des patients, l’acquisition et le maintien des types et nombres appropriés de dispositifs élévateurs et une formation à l’évaluation des risques liés aux tâches de soulèvement et à l’utilisation de l’équipement servant à soulever les patients. Toute politique relative au soulèvement de patients devrait également régir les circonstances dans lesquelles les patients seront soulevés ainsi que le mécanisme à utiliser pour exécuter les tâches de soulèvement.
Évaluation d’une levée
Lors de l’évaluation d’une levée, il faut prendre en considération l’environnement de soulèvement ainsi que le patient à soulever. En agissant ainsi, les dispensateurs de soins auront une bonne idée des contraintes physiques sous lesquelles ils peuvent être appelés à exécuter le soulèvement et seront en mesure de déterminer quelles contraintes peuvent être modifiées pour améliorer la sécurité de la procédure de soulèvement. En évaluant le patient, le dispensateur de soins se fait une meilleure idée de l’état médical, physique et émotionnel de celui-ci ainsi que de la technique ou de l’outil de levée qui convient le mieux à la situation. Une évaluation efficace permettra d’assurer la sécurité du patient aussi bien que celle du dispensateur de soins lors du soulèvement.
Sélection et utilisation du dispositif élévateur
Afin de pouvoir sélectionner et utiliser le dispositif élévateur le plus approprié, il importe que le dispensateur de soins ait une bonne idée des variables qui peuvent influer sur le succès d’une levée. En règle générale, on emploie des dispositifs élévateurs lorsque les patients ne sont pas aptes physiquement ou mentalement ou lorsqu’ils ne veulent pas aider à faciliter le transfert. Divers dispositifs élévateurs sont disponibles. Les plus courants sont les appareils mobiles dont la manipulation nécessite la présence de deux dispensateurs de soins, les appareils suspendus que peuvent opérer un ou deux dispensateurs de soins et les appareils fixes qui nécessitent la présence d’un ou de plusieurs dispensateurs de soins.
Formation à l’utilisation des dispositifs élévateurs
La formation des travailleurs à l’utilisation des dispositifs servant à soulever des patients est un élément indispensable pour tout programme de manipulation de patients efficace. La formation devrait comprendre de l’information sur les risques associés au soulèvement, une politique sur le soulèvement établie par le lieu de travail et la sélection et l’utilisation appropriées de différents dispositifs élévateurs. La formation la plus efficace offre également aux participants l’occasion de se pratiquer à utiliser différents dispositifs élévateurs dans différentes circonstances.
Ces mesures de contrôle sont-elles efficaces?
Pour les parties du milieu de travail qui ont institué les politiques et les programmes sur le soulèvement en s’inspirant des principes ergonomiques, les résultats ont été significatifs.
Au Centre des sciences de la santé du Manitoba, un programme de soulèvement minimal a été instauré après plusieurs années de croissance des taux de blessure chez le personnel infirmier. L’achat de dispositifs élévateurs pour toutes les salles a entraîné d’importantes réductions tant dans la fréquence que dans la gravité des TMS. Dans l’unité de chirurgie seule, le nombre d’heures d’absence du travail (temps perdu) dues à des blessures a chuté de 13 000 à 4 000 en seulement trois ans.
Dans les hôpitaux de Sault Ste. Marie, l’adoption d’un programme de soulèvement zéro a entraîné une réduction importante du nombre de blessures liées au soulèvement. Le programme comportait une politique de soulèvement, l’utilisation de matériel élévateur et une formation aux techniques de soulèvement sécuritaire. Le programme a été particulièrement efficace dans les unités médicales où, sur une période de 22 mois, les blessures liées aux incidents de soulèvement ont chuté de 26 à cinq.
Le succès du programme a été directement attribué à un soutien continu en éducation et à des vérifications de conformité du programme.
Une initiative similaire a été mise en œuvre au Centre de santé St-Joseph de Sudbury où un programme de sensibilisation préconisant l’élimination du soulèvement manuel a été élaboré et dispensé aux infirmières et infirmiers de l’unité des soins actifs pour malades hospitalisés. La formation comprend de l’information sur les techniques et les outils appropriés pour le soulèvement des patients et un stage d’initiation à l’usage du matériel élévateur. En moins d’un an, le nombre d’employés équivalents temps plein absents du travail en raison de blessures liées au soulèvement de patients a chuté de neuf à deux.
NOTE DE LA RÉDACTION :
Nous tenons à remercier le Centre de santé et sécurité des travailleurs et travailleuses de l’Ontario pour cette publication